Geneviève Loiselle, « Recadrer le paysage », Impact Campus, vol. 22, no 6 (le mardi 9 octobre 2007), p. 22. (Exposition Épures… d’Eveline Boulva, Engramme, du 15 septembre au 21 octobre 2007.)
Parce que « sa définition semble repousser un consensus, du moins éviter les limitations trop encloses », le paysage, nous explique Eveline Boulva, est une notion difficile à appréhender et qui est en constante évolution. Pour cette artiste de la relève, faire du paysage, aujourd’hui, c’est l’occasion de se réapproprier par l’art les lieux et les temps vécus lors de ses voyages. Ses Épures…, qu’elle nous présente jusqu’au 21 octobre, chez Engramme, exhibent cette singulière approche d’un genre fort de toute une tradition artistique.
« En fait, nous dit Boulva, le paysage évolue suivant l’entrecroisement et l’imbrication de données perceptuelles […]; son objet ainsi que les motivations qui le génèrent s’ouvrent aux nouvelles réalités sociales. » Le savoir concernant le relief des glaciers arctiques, par exemple, a longtemps été l’apanage de la communauté scientifique, alors qu’aujourd’hui, ces connaissances pénètrent la sphère publique et concernent des populations entières. Notre relation au territoire s’en trouve ainsi changée, dit-elle, de même que notre perception de la notion de paysage.
Poursuivant présentement un doctorat en arts visuels et géographie à l’Université Laval, l’artiste s’approprie les éléments propres à la cartographie afin de composer ses Épures…, de grands tableaux qui évoquent la morphologie des montagnes qu’elle a admirées lors d’un récent voyage en Suisse. « Ce sont des dessins tracés à l’image de sentiers sinueux et de pistes évoquant le relief acéré des montagnes, nous dit-elle. J’y ai inscrit des entrelacs logés dans l’ombre des crêtes et emmêlés dans les méandres d’une cascade, parfois perchés à la lumière des glaces; j’ai empilé des pas, superposé des regards, relaté des échos et des climats, érigé des itinéraires. » La série d’œuvres se présente ainsi comme une exploration artistique de la fonction cartographique, un terme qui renvoie à la faculté qu’ont les cartes d’évoquer des territoires et de faire voyager, en employant des codes graphiques qui suscitent l’imaginaire.
Pour ce faire, l’artiste opère une épuration graduelle à partir des photographies prises lors de ses pérégrinations, de sorte à signifier, par des traits minimaux, le souvenir des lieux explorés. De grands aplats de gris, de vert et de bleu évoquent ainsi la froideur du climat nordique. Sur ces surfaces, l’artiste dessine tout un fourmillement de traits fins, qui renvoient quant à eux aux représentations graphiques du relief des montagnes. Ces signes agissent en tant que détournements esthétiques : ils font basculer la réalité des formes perçues en une fascinante ambiguïté référentielle. Il se crée ainsi chez le regardeur un intriguant va-et-vient entre le territoire imaginé et son rendu artistique.
Boulva n’emploie pas les techniques de l’estampe en tant que telles, mais elle en rappelle l’esthétique : les couleurs appliquées au pochoir évoquent la sérigraphie, tandis que les tracés possèdent le raffinement de l’eau-forte. « De plus, souligne-t-elle, la création de diverses versions sensibles d’un même lieu […] invite à une réflexion sur les notions conjointes de variante et de matrice ».
Touchant aux thèmes du sublime, de la mémoire et de l’abstraction, les œuvres de Boulva appellent ainsi le paysage, tout comme elles s’en éloignent. Par le jeu des couleurs et la subtilité de ses finis mats et lustrés, les compositions de l’artiste montrent les codes de la cartographie sous le mode de la métaphore. Sa réappropriation personnelle des territoires explorés actualise le paysage en une vision à la fois contemporaine et originale.
