Geneviève Loiselle, « Picasso intimiste », Impact Campus, vol. 22, no 3 (le mardi 11 septembre 2007), p. 30. (Exposition La joie de vivre — Picasso au Château d’Antibes, MNBAQ, du 6 septembre 2007 au 6 janvier 2008.)
Cet automne, le Musée national des beaux-arts du Québec nous convie à une rencontre intime avec Picasso, cet infatigable créateur, dont la plupart s’accorderaient pour dire qu’il est sans doute l’artiste le plus complet et le plus génial du XXe siècle. Face au plus connu des modernes – on commence en effet à bien le connaître : rappelons-nous que le MNBAQ nous présentait en 2004 Picasso et la céramique et que le Musée des beaux-arts de Montréal, en 2001, y allait de son Picasso érotique –, l’institution des Plaines ne nous propose cette fois-ci rien de moins qu’un face-à-face avec le plus grand. La Joie de Vivre – Picasso au Château d’Antibes nous invite en effet à mettre le pied dans l’atelier du peintre cubiste et à scruter son processus de création, alors que pour quelques mois, en 1946, Picasso installe son atelier au deuxième étage de ce musée du sud de la France. Regroupant 55 œuvres – tableaux, dessins et céramiques – l’exposition fait renaître cette intense période de création, alors caractérisée par l’optimisme retrouvé de l’après-guerre et le retour des thèmes gais dans l’œuvre de l’artiste.
À la faveur d’une vingtaine de photographies d’époques, nous sommes d’abord attirés aux confins de l’atelier de Picasso. Pris par le photographe Michel Sima, l’instigateur du séjour de Picasso au Château d’Antibes, les clichés en noir et blanc qui figurent à l’entrée de la salle montrent l’artiste dans ses quartiers. On le voit « devant sa table chargée de bouteilles » ou encore « de profil, dessinant une oursinade ». Posant dans l’atelier, Picasso nous est aussi montré en compagnie du conservateur Romuald Dor de la Souchère, celui qui avait d’abord invité l’artiste à faire un don de quelques œuvres. Cette introduction à la visite nous permet d’entrer dans l’intimité de l’artiste tout en favorisant une mise à nu du contexte d’émergence des œuvres. On peut à cet effet y constater les maintes hésitations du peintre, alors que certains détails d’une composition s’effacent au profit de d’autres, les photographies nous laissant voir les différents états d’un même tableau.
Ces mêmes ratures, l’artiste choisit par endroit de les laisser visibles, comme dans le panneau gauche du triptyque Satyre, faune et centaure au trident. Il faut dire qu’au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale les ressources matérielles se font rares. Picasso se joue cependant de ces contraintes et en profite pour explorer les possibilités techniques et expressives de médiums et de supports de récupération. Par exemple, le fusain appliqué sur une peinture industrielle encore fraîche rend les repentirs apparents sur les panneaux de fibrociment. Ailleurs, le trait s’affirme plus nettement, comme dans la série de dessins au graphite intitulée Antipolis. L’air frais de la Méditerranée et la chaleur rapprochée de sa nouvelle compagne Françoise Gilot favorisent l’éclatement de toute une faune mythologique : nymphes, centaures et chevreaux se plaisent ainsi aux sons de leurs instruments et affichent l’allégresse que devait aussi ressentir leur créateur. Certaines grandes compositions aux tons nuancés, comme cette Nature morte à la bouteille, à la sole et à l’aiguière nous baignent de cette lumière blanche d’Antibes alors que l’on découvre les objets du quotidien transformés par les formes abstraites et les aplats colorés de l’artiste. Les nus féminins subissent également le même traitement, par juxtaposition de formes géométriques, leur position couchée les faisant par endroits épouser les mêmes courbes que celles des vagues. Complétant judicieusement cette présentation, les céramiques créées à la même période à Vallauris – et non exposées lors de l’exposition de 2004 – sont également empreintes d’une surprenante audace dans l’amalgame des formes.
Devant une exposition aussi charmante, le MNBAQ peut bien se passer de justifier la présence renouvelée du « plus grand artiste du XXe siècle ». Après avoir été présentée en Espagne, en Italie et en Allemagne, l’exposition s’arrête une dernière fois à Québec avant qu’elle ne retrouve définitivement son port d’attache au musée antibois, qui jouira alors de ses rénovations en cours. C’est une occasion privilégiée de rencontrer l’un des plus grands noms de l’histoire de l’art et de constater, grâce à cette exposition intime, toutes les ressources de cet inépuisable imaginaire.
