Les arts, l’Homme et la vie

Geneviève Loiselle, « Les arts, l’Homme et la vie », Voir-Québec, vol. 17, no 23 (du 5 au 11 juin 2008), p. 12. (Entrevue avec Henri Loyrette, directeur du Musée du Louvre, à propos de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie, MNBAQ, du 5 juin au 26 octobre 2008.)

Henri Loyrette a un CV pour le moins impressionnant. Après quelque huit ans passés comme directeur du Musée d’Orsay, il traverse la Seine en 2001 pour prendre les rênes du plus prestigieux musée du monde. Depuis, le Louvre a vu sa fréquentation augmenter de plus de 60 %. Il faut dire qu’au cours des dix dernières années, les musées d’ici et d’ailleurs ont intégré de plus en plus le développement des publics au cœur de leurs stratégies. Qu’à cela ne tienne, le succès de celui qui est aussi spécialiste de l’art du XIXe siècle vaut sans nul doute à sa vision quasi enivrante d’un musée universel ancré dans la modernité. À la veille de son arrivée dans la Vieille Capitale pour l’ouverture tant attendue de l’exposition Le Louvre à Québec. Les arts et la vie, il a bien voulu nous échanger quelques mots.

Un musée pour le XXIe siècle

L’exposition estivale du Musée national des beaux-arts du Québec, qui s’inscrit dans le cadre des festivités du 400e, se prête bien à une réflexion sur notre rapport actuel à l’art puisqu’elle entend démontrer le lien intrinsèque qui lie l’art à la vie de l’homme, depuis l’Égypte pharaonique jusqu’à l’Europe du XIXe siècle. On apprendra entre autres que sous l’ancien Empire égyptien, la statue funéraire pérennisait l’image du défunt au sein du monde des vivants. Dans le Proche-Orient du IVe millénaire avant J.-C., on buvait à même des vases en terre cuite en forme d’animaux.

Mais qu’en est-il de ce lien aujourd’hui? Possède-t-on encore avec l’art un rapport si étroit? Si ce rapport s’est estompé avec l’art moderne et contemporain, qu’est que cela nous apporte de visiter des musées qui, comme le Louvre, nous présentent des collections historiques?

Je pense que le Louvre est un musée qui accompagne une vie, répond Henri Loyrette. Cézanne nous disait, par cette magnifique formule : « Le Louvre est le grand livre où on apprend à lire. » Et c’est une formule que j’aime à répéter parce qu’elle dit vraiment tout ce qu’est le Louvre : il est comme une grande encyclopédie que vous avez toujours à portée de la main, que vous consultez régulièrement, mais en y revenant toujours, en quelque sorte.

À mon avis, renchérit le directeur du musée qui, chaque année, voit défiler en ses murs plus de six millions de visiteurs, pour bien comprendre le monde d’aujourd’hui et l’art d’aujourd’hui, il faut passer par les collections du Louvre. C’est aussi au Louvre qu’on éprouve le mieux ce qu’on appelle le « dialogue des cultures » et qui nous permet de comprendre qui l’on est aujourd’hui.

Annuellement, le Louvre accorde des prêts aux expositions à plus de 100 musées étrangers. « Telles qu’elles sont constituées, nous dit Loyrette, nos collections connaissent une demande de plus en plus forte. De plus, poursuit-il, nous essayons de faire en sorte que les collections anciennes du musée soient des collections d’actualité. »

À cet égard, le Louvre a nouvellement engagé un dialogue entre le passé et le présent en intégrant à ses collections le travail d’artistes comme Christian Boltanski, Marie-Ange Guilleminot et José-Maria Sicilia. Dans le cadre d’une politique d’ouverture à l’art contemporain, la série d’expositions Contrepoint, débutée en 2004, a invité ces artistes, et bien d’autres, à choisir « un lieu, un objet, une période historique ou une histoire mythique auxquels ils répondaient à leur manière ». Ce printemps, c’est toute une collection, celle des Écoles du Nord, qui est investie par l’œuvre polymorphe de l’artiste belge Jan Fabre. « De cette manière, nous dit Loyrette, on essaie de revivifier cette tradition d’un Louvre comme maison des artistes vivants. »

L’art pour tous

Celui qui a arpenté de long en large les innombrables salles du Louvre depuis qu’il est petit nous assure que l’art n’est pas l’affaire d’une élite.

L’art, dit-il, n’est pas quelque chose de superflu. C’est quelque chose d’absolument nécessaire et qui, comme tel, doit être pour tous. Et cette idée est fondamentale pour moi! L’art, c’est un produit de première nécessité!

Le Musée joue à ce titre un rôle essentiel et il a une place de plus en plus importante dans la cité, enchaîne-t-il. C’est ce que nous prouvons notamment avec le projet d’antenne du Louvre en région Pas-de-Calais (ouverture prévue en 2008). Sur ce territoire qui a souffert de toutes les crises et de toutes les guerres, et avec un nouveau public, éloigné en majeure partie des pratiques muséales et largement ignorant dans le domaine artistique, on pourra présenter les œuvres que nous possédons sous un éclairage nouveau, comme on l’a fait avec Le Louvre à Québec. Les arts et la vie.

L’exposition joue en effet de croisements entre les différents départements du Louvre. Cette façon de faire dialoguer les objets, les époques, les artistes, les techniques et les styles est inhabituelle, mais « elle a été reçue avec enthousiasme par les équipes de notre musée, et ça a été pour nous, conclut Loyrette, une expérience extrêmement enrichissante. »